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Le moine bénédictin Jacques Fouyn joue un premier rôle dans cette étude car il fait l'interface entre, d’une part la famille anoblie Chevalier d'Eprunes en Brie (77) et d’autre part, plusieurs familles Chevalier d'Anjou par le biais du couple protestant Guillaume Chevalier et Jeanne Escoréol. En effet, cette dernière reçu donation en 1568 devant Mathurin Le Pelletier notaire royal à Angers (49) du domaine ecclésiastique de la « Grange du Milieu » situé à Yerres (91) et engagé par le roi dès 1389 au bénéfice de son chambellan Bureau de la Rivière. Le donateur était Madelon Hunault, homme d’affaire angevin au service de la maison de Lorraine Guise et de l’Eglise d’Angers. Il détenait ce bien depuis 1563 par échange avec son frère aîné François Hunault. Le notaire prit la précaution de mentionner l’absence et la fonction du religieux Jacques Fouyn, représentant en sous-main l’Eglise d’Angers, dont l’évêque et les chanoines étaient alors contestés.
Chanoines classiques ou cumulateurs
Selon les historiens spécialisés, les chanoines se divisait jadis entre ceux qui restaient dans leur chapitre cathédral et les carriéristes attachés au service d’un puissant, ou bien d’une administration royale ou papale, meilleur moyen d’obtenir une prébende cathédrale et d’y ajouter d’autres bénéfices avantageux et exerçant hors de leur résidence.
En fait, l’Eglise bénéficiait des deux catégories, notamment des non-résidents qui permettait à ses chapitres et diocèses de disposer d’un réseau d’appuis et d’influences auprès des institutions royales ou pontificales.
Cet « âge d’or des chanoines » entamé au XIIIème siècle, fut édulcoré à la Renaissance par François 1er qui contrôla la nomination des évêques et abbés commendaté qui investissaient dans l’épiscopats et les dignités ecclésiastiques. Ainsi la hiérarchie catholique était plus malléable, notamment à partir du colloque de Poissy de 1561 où l’assemblée générale du clergé consenti à entamer un régime de contributions régulières et périodiques en faveur de la royauté. Bien entendu, la contestation des protestants fut immédiate et efficace contre les cumulateurs vilipendés comme chanoines politiques.
Les guerres de religion approchent
En fait, ces incidents et le climat délétère entre les populations catholiques et protestantes, amorçaient les guerres de religion .
En effet, la capitale angevine était depuis 1562 le centre d’une agitation menée par les protestants contre le clergé et ses chanoines locaux accusés de se dissimuler derrière la religion pour des raisons politiques et décrié pour ses prébendes et cumuls de bénéfices apostoliques . Pour marquer cette opposition, une campagne de refus de dîmes s’était engagée dans les paroisses d’Anjou, malgré les efforts de l’évêque d’Angers Gabriel de Bouvery (1515-1572) qui se tournera en 1567 vers la Ligue catholique provinciale, comme le voulait le roi.
L'un des points important de mon étude sur le patronyme Chevalier (ou Chevallier) concerne deux chanoines du diocèse d'Angers, hors-résident de cette province d'Anjou mais ayant conservés leurs bénéfices apostoliques et prébendes locales. Ils étaient amis et probablement parents avec des liens familiaux à Cheffes et Juvardeil, deux localités se faisant face, chacune d'un côté de la rivière Sarthe.
- Le chanoine Jacques II Fouyn (1535-1602), parfois orthographié Fouin ou Fouing, plus jeune et d'origine modeste, sa famille était implantée à Précigné (Sarthe)
- Le chanoine Pierre Mariau (1518-1582), parfois orthographié Pierre VI Mariau, Marian, De Marian et Mariault, était plus aisé, peut-être noble. Plus élévé dans la hiérarchie, il fut administrateur du Clergé de France et l’un des négociateurs à propos des donations et prêts financiers accordés à l’administration royale par l'Eglise.
Compte tenu de la période spécifique précédant les guerres de religion évoquée ci-dessus, il semble opportun de situer le climat d'alors au sein des prieurés et abbayes, bouleversées par les effets du Concordat de 1516 sur les nominations internes et le contrôle royal.
- Jacques 1er Fouyn, moine bénédictin du Maine Anjou
Dans le Haut-Anjou et le Maine, province jouxtant l’Anjou, la situation générale était identique à celle du royaume évoquée ci-dessus, c'est à dire très agitée et contestatrice.
Les conséquences indirectes de la conversion d’un abbé sarthois
A l’abbaye bénédictine Saint-Pierre de la Couture du Mans (72), l’abbé Adam III Fumée (1520-1574) [3] avait embrassé le protestantisme vers 1556, à l’époque où était décédé Jean IV Bougler (1481-1556) prieur du riche prieuré conventuel [4] de Solesmes, renommé pour « les Saints de Solesmes », chefs-d'œuvre de la Renaissance. Les moines locaux avaient élu pour remplacer le défunt prieur Jacques Fouyn, premier du nom (1512-1560) alors curé de Morannes (72) mais il mourut vers 1560. Son parent et successeur le curé de Morannes Samson Leduc se porta candidat à l’élection de prieur, muni d’une Lettre patente délivrée par le jeune roi François II (1544-1560).
Opposition locale contre le frère du Président du Parlement parisien
Ce candidat local s’opposait à noble Martin Séguier prieur de Saint-Pierre près d’Etampes (Essonne), conservateur des privilèges apostoliques de l'Université de Paris et futur chanoine de la capitale du royaume. Fils de Nicolas 1er Séguier, seigneur de Drancy (93) et de Catherine Leblanc, Martin avait pour frère aîné le président du Parlement Pierre 1er Séguier (1504-1580), époux de Louise Boudet [5] .
D’un seul bloc, les moines locaux firent obstruction contre Martin Séguier, une action en justice fut engagé par Samson Leduc et l’élection suspendu en attente d’une décision.
Querelle de moines dans un climat sociétal tendu par les querelles religieuses
Procès sensible en raison du climat de tension politico religieuse en cette montée du protestantisme, l’affaire fut délocalisée et renvoyée en appel devant le Grand Conseil siégeant au Parlement de Grenoble. Finalement, Martin Séguier et Martin II Fumée et consorts représentant de la famille Fumée furent déboutés le 5 juin 1564 et condamné par les commissaires du roi à verser une indemnité au bénéfice [6] de Samson Leduc et Jacques 1er Fouyn.
Décision de justice favorable aux moines locaux puis transaction
Nous ignorons le montant de l’indemnité décidé par la justice royale statuant en appel mais étant donné qu'il s'agissait d'un différend entre moines réguliers qui contrairement aux autres religieux séculiers (curés et autre) ne peuvent percevoir de l'argent, il y eut transaction et accords entre les parties dont nous ignorons la teneur. Au moment de la décision judiciaire, Adam Fumée III (1520-1574) supérieur hiérarchique de Jacques 1et Fouyn était soupçonné d'hérésie et résigna l'abbaye de la Couture du Mans dont dépendait le prieuré de Solesmes à son frère Nicolas Fumée (1527-1593) alors chanoine et futur 85ème évêque-comte de Beauvais, vidame de Gerberoy (Oise), il sera également aumônier du roi Henri III et maître de sa chapelle, protégé de Pierre de Gondi maître de l'Oratoire et du cardinal Charles Ier de Bourbon (1523-1590). En bref, Nicolas III Fumée était un des dignitaires du clergé de France.
Son autre frère, Claude alias François Fumée, conseiller au Parlement épousera 29 avril 1562 à Paris le Louise Levoix fille de Claude Levoix et de Catherine Vaillant fille du bailli de Dunois de Jean III Vaillant de Guélis (1472-1546) Maître Requète de Louis II d'Orléans-Longueville et Jeanne fille de Pïerre II Nivard. précédent bailli. A l'occasion de ce mariage, Catherine Vaillant versa 3.600 Livres sur les 6.000 Livres promis (MC/ET/VIII/213 du 21 novembre 1551, suivi du CM de 1562MC/ET/XXXIII/17 et MC/ET/XLIX/119 4 mars 1565)
Les famille Fumée et Vaillant de Guélis sont apparentés par les femmes à Guillaume Chevalier issus de noble Etienne Chevalier d'Eprunes en Brie et Montreuil-sous-Bois
Catherine Vaillant de Guélis avait pour oncle le bourgeois d'Orléans Junien Vaillant (1480-1550) fils de Jean Vaillant (+ 1499) avocat d'Orléans et de Jeanne de Moulin de Rochefort. Lequel Junien se maria avec Jeanne fille de Jean Luillier (1440-1504) bailly de l'évéché d'Orléans et commissaire ordinaire de l'Amirauté et de Madeleine Compaing.De ce mariage naquit de Mathurin Vaillant (1519-1559) ancien Lieutenant du prévôt d'Orléans et conseiller au Parlement de Paris, premier époux de la protestante Jeanne Escoreol (1523-1602) fille du conseiller au Parlement puis au Grand Conseil Jean II Escoreol (1494-1575) époux de Marie Marguerite Le Breton. Selon " le Journal du Règne de Henry IV. Roi de France, et de Navarre" de Pierre de l'Etoilen Volume 1 p.133, Jean Escoreol aurait été tué en 1575 d'un coup de pistolet par un protestant.
Quoiqu'il en soit, sa fille Jeanne Escoreol, veuve Mathurin Vaillant, dont elle avait un fils prénommé comme son père, se remaria vers 1556 avec le protestant et maître des comptes Guillaume Chevalier descendant de noble Etienne Chevalier seigneur d'Eprunes (77) et de Catherine Budé.
Anecdote sur Jacques II Fouyn, neveu de Jacques 1er Fouyn et la découverte d’un trésor
En 1562, un vigneron de Sannois, relevant spirituellement d’Argenteuil (95) découvrit un trésor en or qu’il céda pour 1.200 Livres à un changeur, lequel le revendit pour 8.497 Livres Tournois à la Monnaie du roi. Le châtelain de Montmorency dont relevait Argenteuil et le prieur d’Argenteuil, en tant que seigneur spirituel du lieu en revendiquèrent chacun la propriété. Un procès s’engagea, un premier arrêt du 11 juillet 1565 eut-lieu, suivit de deux appels en date des 25 février et 5 avril 1566, avec jugement définitif en date du 29 juillet 1570. Il conclut que le trésor devait être divisé en trois parts, au roi, au connétable Anne de Montmorency et au prieur d'Argenteuil, à charge pour eux de procéder à la division. Le connétable étant décédé en 1567 lors de la bataille de Saint-Denis contre les protestants, sa veuve Madeleine de Savoie et le prieur d’Argenteuil Jacques II Fouyn, arrivé en 1567, reçurent chacun 2.800 Livres Tournois.
Ce qui est intéressant de noter est que dans ses attendus, le procureur du roi mentionne que le prieur d’Argenteuil avait fondé son argumentation sur le droit de haute-justice issue de l’abbesse d’Argenteuil fille de Charlemagne et la "robe de Dieu" détenue en son prieuré . Ce jugement juridique et sacramentel confirmait une Lettre patente du roi Charles IX du mois de février 1563 précisant que la moyenne et basse justice appartenait à l'abbaye de Saint-Denis mais que la haute-Justice relevait du prieuré d'Argenteuil représentée par son bailli et relevait en appel de la cour du Parlement de Paris.
Dans cette affaire, le prieur précédent d’Argenteuil avait démontré ses compétences juridiques et Jacques II Fouyn n’hésita pas à suivre ses traces en engageant un procès contre Françoise de Brézé, duchesse de Bouillon épouse de Robert IV de la Marck et héritière de Grignon et de Mortmoulin pour absence de foi et hommage rendu en son prieuré. (AD 95, 12H62/183ème liasse du 14 mai 1569). Comme toujours, l'affaire se termina pa un arrangement financier.
Liens vers les biographies des moines Jacques II Fouyn et Pierre Mariau.
On distingue huit guerres de religion en France : 1) de 1562-1563, puis de 1567-1568, puis de 1568-1570, puis de 1572-1573, puis de 1574-1576, puis de 1576-1577 puis de 1579-1580 et enfin de 1585-1598 qui se transformera en guerre classique contre le roi d'Espagne qui a soutenu la Ligue ultra catholique.
Archives Nationales, Lettres royales données par le roi François II à Orléans le 10 novembre 1560 renvoyant le procès du grand Conseil au Parlement de Grenoble. 7 décembre 1560 et MC/ET/XXXIII/173 du 7 décembre 1560 devant le notaire au Châtelet Philippe Lamiral, suivi par Archives Départementales de la Sarthe, série clergé régulier G 340, chapitre 9ème livre des insinuations ecclésiastiques.